Partir, c'est renaître beaucoup ("Le Monde fantastique d'Oz", "Train de nuit pour Lisbonne")

Le hasard des programmations donne des envies de rapprochements entre des films n’ayant a priori pas grand-chose à voir. Proposition : reposant sur des conceptions du cinéma à peu près diamétralement opposées, la grosse machine hollywoodienne – ce n’est pas une insulte – de Sam Raimi, avec son casting de charme et de luxe – élisez la plus belle sorcière – et la ballade intimiste – ce n’est pas forcément un compliment – de Bille August, adaptée du roman de Pascal Mercier (et bientôt sur les écrans français et romands, espérons-le), ne sont finalement que deux manières tout aussi défendables de traiter du même inépuisable sujet : le voyage initiatique – pléonasme ?

Oscar le prestidigitateur, du fond de son Kansas, rêve de gloire mais n’en finit pas de croupir dans un cirque ambulant ; Raimund, le vieux professeur de langues divorcé, traîne sa solitude autour d’un échiquier – note pour l’assistant réa de Bille August : faire un tour sur Wikipédia pour apprendre à disposer les pièces sur un échiquier ; il y a aussi Le Guide des échecs, de Nicolas Giffard, excellent – et le long du Nydeggbrücke, et ne rêve plus de grand-chose. L’un et l’autre ne savent trop dans quelle direction regarder ni bien quoi chercher et il leur faudra un événement inattendu – face à face avec un mari trompé puis une tornade pour le premier, rencontre avec une jeune candidate à la noyade puis avec le livre qu’elle oublie dans sa veste, pour le second – pour rompre leur routine et provoquer le départ, l’indispensable voyage, occasion inespérée de délivrance et de réappropriation de soi (voir les belles lignes de l’anthropologue Jean-Didier Urbain sur les raisons qui nous font arpenter le Monde par millions, bien résumées ici).

Pas sûr, du basculement radical et spectaculaire dans le monde merveilleux d’Oz, avec ses sorcières, ses singes ailés et sa ville d’émeraude, ou du passage de la pluie bernoise au soleil lisboète, de la douceur politique helvétique au souvenir des derniers mois de la dictature de Salazar, de pouvoir dire lequel est le plus violent et recèle le plus gros potentiel de transformation. Oscar comme Raimund, plongés dans un milieu où les prises leur font défaut – jusqu’à nécessiter un changement de lunettes, au sens propre, pour le second – vont devoir en partie se réinventer, bien aidés il est vrai par une jolie sorcière et une charmante opticienne : l’un sortira de sa crise d’adolescence, l’autre tentera de retrouver un sens à sa vie. Tous les deux feront l’expérience de la phrase clé de l’écrivain portugais dont les lignes ont poussé Raimund sur un quai de gare : découvrir de nouveaux lieux nous fait voir le monde d'une manière nouvelle et, en les quittant, on y laisse à jamais une partie de nous-mêmes.

Pour ceux qui ont peur du train et de l'avion, il reste la possibilité de voyager en se shootant aux bêta-bloquants et aux anti-dépresseurs, sport collectif à Manhattan si l'on en croit le scénario d'Effets secondaires, thriller-diablement-efficace-mais-pas-que de Soderbergh, qui semble prendre un malin plaisir à torturer Rooney Mara et que je soupçonne fortement d'être un gros vicieux. Le seul risque, surtout si vous tombez sur un psychiatre ayant du mal à régler son prêt immobilier et conséquemment moins regardant sur ce que les grosses boîtes pharmaceutiques lui suggèrent fortement de prescrire, est de terminer le voyage de l'autre côté d'une bretelle d'autoroute, dans le gigantesque et pas très avenant asile de New York.

Pour Oz, n’oubliez pas vos lunettes 3D pour voir plus clair dans le merveilleux et profiter du superbe générique ; pour Lisbonne, mettez un paquet de mouchoirs dans vos valises si vous êtes sensible aux histoires d’amour qui se terminent mal et aussi à celles qui se terminent bien – il y a les deux. Dans chaque cas, voyage au loin garanti. Et pour des effets secondaires assurés, pensez bien à prendre vos cachets.

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